1 Nov
2016
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SOUVENIRS

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Franck B

26 Novembre 2004

 

Mesdames et Messieurs de cette vénérable assemblée,

 

S’il est un mot de la langue française dont le succès ne faiblit pas, dans son utilisation comme dans son imitation, c’est bien le mot « fesse », au singulier comme au pluriel. On ne compte pas, non plus, les synonymes et les expressions imagées pour le désigner. Et si nous devions à présent nous livrer à un petit exercice de surenchère syntaxique sur ce thème, nul doute que le jeu entamé durerait quelque temps avant de s’épuiser, faute de vocabulaire.

Pour ma part, je ne retiendrai qu’un terme pour vous parler ce soir, car celui-ci me renvoie à une certaine part de mon enfance.

 

Je vais aller me laver l’oignon disait mon père, quand neuf heures du soir sonnaient au clocher de l’église, signifiant ainsi au reste de la famille qu’il était sur le point d’aller se coucher et qu’auparavant il procéderait à ses ablutions intimes, postérieures et vespérales. De cette manière, il donnait le ton d’une éducation faite à la fois d’une hygiène corporelle scrupuleuse, d’un respect strict des horaires, et d’une maîtrise de la langue française qui, si elle n’était pas académique, prouvait au moins sa parfaite connaissance des synonymes pour désigner les fesses.

Aujourd’hui, puisque c’est ce qui m’amène parmi vous, j’aimerais vous parler des miennes, afin qu’il ne subsiste, entre nous, aucune ambiguïté quant à ma candidature. Je préfère vous parler franchement.

Il fut un temps, dans le clergé, et aussi dans une ancienne franc- maçonnerie, où la règle des « trois B » s’appliquait, paraît-il. Pour prétendre appartenir à l’une de ces institutions, il ne fallait être ni bègue, ni borgne, ni bancal. Ne connaissant votre confrérie que de réputation, j’ignore si cette règle s’appliqua, ou s’applique encore ici, en d’autres termes s’il y a des critères de fesses rédhibitoires où les flasques, les fondantes, et les fluettes constitueraient ici la règle des «trois F » et me tiendraient interdit de séjour parmi vous. Si cela devait être le cas, autant me le dire tout de suite.

Car je souffre malheureusement d’une minuscule tare : celle de posséder la fesse pointue.

Cette particularité héréditaire, cette coquetterie devrais-je dire, due essentiellement à la finesse de mes muscles fessiers, voire à leur absence, si elle m’a valu quelques succès au moment des foires régionales et à la fin de quelques banquets, peut être aussi vécue, au moment de l’adolescence, comme un handicap, et je voudrais en témoigner. Car quand d’autres garnements usaient leurs blue-jeans aux genoux au point de les trouer, je devais, pour ma part, me résigner à ne ramener les miens troués qu’au derrière, à force de me trémousser sur mon siège. Par la suite, à la maison, certaines chaises cannées me furent définitivement interdites d’accès pour cause de crevaisons à répétition. Le paroxysme fut atteint le jour où je défonçais totalement l’assise du magnifique fauteuil en osier ayant appartenu à la grand-mère. Ce crime de fesse majesté ne me fut jamais pardonné. Et on me condamna, à perpétuité, au tabouret de formica bleu.

Vous le voyez, j’ai passé des années bien cruelles, le plus souvent debout, ce qui finit tout de même par être un peu épuisant.

Par la suite, je suis devenu fonctionnaire. Cela aussi est épuisant. Surtout l’ennui qui va avec.

On le sait, la fonction principale du fonctionnaire, si j’ose une triple redondance, c’est d’abord  de fonctionner mais aussi d’être assis et d’attendre. Quant à moi, j’attends depuis presque trente ans. J’ai calculé : cela fait à peu près cinquante quatre mille heures à rester assis. Je vous laisse deviner le nombre de fonds de culotte et l’argent que ça représente sur le budget habillement, alors que ma carrière n’est pas encore terminée.

Rappelons-le : quel que soit le métier que l’on souhaite exercer dans l’administration, une visite médicale préalable est obligatoire avant d’appartenir à la noble institution. Cette visite, de type classique mais cependant assez complète, omet, jusqu’à présent, l’examen des fesses. D’ailleurs, il y a peut-être des praticiens dans la salle, je parle donc sous leur contrôle, il existe de nombreuses spécialités en médecine, qui permettent de parcourir, de palper ou de soigner le corps humain, zone par zone, mais aucune ne se rapporte aux fesses à proprement parler. Pourquoi ?

J’ai, pour ma part, été palpé bien des fois et en de nombreux endroits du corps au cours de ma déjà longue vie. Mais je n’ai aucun souvenir que l’on m’ait touché une seule fois les fesses pour s’assurer de leur conformité. D’ailleurs, j’ai pu le constater, ce qui intéresse d’abord les docteurs, ce sont les glandes. Toutes sortes de glandes. Il faut le savoir, la médecine est d’abord glandulaire. J’en appelle à votre mémoire personnelle comme à notre mémoire collective. Glandes salivaires, ganglions en tous genres, glandes mammaires ou génitales, j’en passe et des meilleures, la vie n’est qu’une affaire de glandes. L’expression familière, passée dans le langage commun, « avoir les glandes » en témoigne assez bien, me semble-t-il.

Quant à moi, j’ai les glandes de tout ce temps perdu. J’ai les glandes que, par négligence ou par incompétence, la médecine du travail n’ait pas dépisté, dès le départ, l’anomalie fessière dont je souffrais, ce qui m’aurait évité une erreur d’orientation professionnelle qui me vaut, aujourd’hui, tant d’années assises et inutiles.

Je devais être un homme debout. Je fus un homme assis. Erreur de casting. Je me console en me disant qu’avec l’âge on prend inévitablement du poids et de la graisse autour des muscles, ce qui devrait me procurer une vieillesse plus confortable et plus normalisée, en tout cas moins douloureuse.

Mais, je ne veux pas terminer cette confession sans revenir un peu à l’origine du mot « fesse ». La plupart d’entre vous la connaissent certainement. Que cette plupart me pardonne.

La fesse est issue du latin fissa, un pluriel ténébreux signifiant tout à la fois fesse et anus, lui-même issu de fissum qui signifie fente.

Tous ces dérivés ont donné, en français moderne, faille, fistule, fissure, fission (nucléaire), fente et, bien sûr, fesse.

On le voit, à travers toutes ces approches, il n’est pas tant question des fesses que de ce qui les sépare. Faut-il en déduire que la fesse n’a de sens qu’en fonction d’une dualité, d’un yin et d’un yang dont la fente marquerait la frontière ?

En elle-même, la fesse n’existe pas. Il lui faut un double pour exister. Une gémellité. Quelque chose comme un miroir pour la refléter.

J’ai, pour ma part, croisé bien des fentes. Etait-ce par goût, ou par simple curiosité d’explorateur ? Les fentes sont aussi des gouffres en devenir. Je suis même allé jusqu’aux États-Unis d’Amérique pour admirer la faille de San Andreas, merveille tectonique s’il en est. Je crois bien que je n’ai jamais rencontré de fracture aussi parfaite et aussi impressionnante que celle-là.

Un monde divisé en deux. Une menace. Mais aussi un équilibre.

San Andreas.

Je ne saurais dire si Andreas fut une sainte, en tout cas celle que je connus quelques temps possédait la faille la plus accueillante que je rencontrai. J’en garde la plus belle secousse sismique, 6, 3 sur l’échelle de Richter. Elle habitait Belleville et n’avait que vingt ans. Je n’en avais pas plus et je l’aimais déjà.

Merci.

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